Maxime Yasser Abdoulhoussen

Maxime Yasser Abdoulhoussen”J’étais ingénieur en travaux publics et je suis devenu haut fonctionnaire”

  • Pouvez-vous vous présenter et présenter votre parcours avant votre entrée à l’ENA (origine familiale et géographique, valeurs, parcours professionnel, engagements divers…) ?

Je suis issu d’une diaspora présente dans l’océan indien. Je suis né à Madagascar où ma famille est établie depuis plusieurs générations, en tant que commerçants. Madagascar étant un pays francophone, c’est assez naturellement vers la France que mes parents se sont tournés pour nous offrir les meilleures chances d’étudier et de réussir. Bon élève, j’ai grandi à Bordeaux où j’ai intégré des classes préparatoires scientifiques puis ensuite une école d’ingénieur dans la région lyonnaise. C’était déjà passionnant de rencontrer des élèves d’origines sociales et géographiques diverses. C’est je pense ce qui me motive : changer de milieu socio-culturel, me confronter et comprendre les codes. C’est d’ailleurs à ce moment là que j’ai été naturalisé. J’ai démarré ma carrière dans des grands groupes français des transports et des télécommunications, en tant que manager de proximité. Je voulais commander, produire, avoir des résultats, résoudre des problèmes ; mais mon goût pour les sciences humaines et l’histoire n’étaient pas bien loin. Après 10 ans d’action sur le terrain, un mariage et deux enfants, je me suis lancé un nouveau challenge avec le concours.

  • Pouvez-vous décrire la ou les expériences les plus enrichissantes de votre carrière de haut fonctionnaire ? Les moments clés de votre parcours ?

Les moments les plus exaltants sont sans nul doute lorsque l’on participe à la décision et à l’impact sur la vie des citoyens. C’est souvent ce que j’ai ressenti lors des réunions d’arbitrages qui ont lieu à Matignon ou les ministères sont réunis pour exposer leur point de vue et leur analyse d’une réforme en préparation. J’ai eu l’occasion d’assister à de nombreuses ”réunions interministérielles” comme on dit dans le jargon, d’abord comme chef du bureau de la stratégie au ministère de l’écologie puis en tant que chargé de mission dans les services du Premier ministre. J’avais bien compris comment s’élaborait la norme au sommet de l’État, je voulais comprendre comment elle se négociait au niveau international, toujours dans le but d’aider nos entreprises et ceux qui portent des projets à faciliter leur développement. Je suis donc parti en Espagne, à notre représentation diplomatique, pour y occuper le poste de conseiller économique, chargé du développement durable et de l’industrie. J’ai eu la chance ainsi de faire partie de la délégation française lors de la COP à Madrid, la 25ème édition réunissant tous les pays signataires de la convention sur les changements climatiques.

  • Que vous a apporté le fait de faire l’ENA ? En quoi avez-vous grandi ?

L’ENA m’a véritablement ouvert un nouveau champ des possibles. C’est à la fois un sésame et un tremplin. Un sésame car l’école offre des clés de compréhension du monde qui nous entoure et de son fonctionnement. C’est indispensable pour ceux qui ont l’esprit critique et veulent jouer un rôle dans le débat public. Avant l’ENA, difficile pour moi de discerner les processus de décisions politiques, j’avais une compréhension très parcellaire des mécanismes économiques et ne parlons pas des rouages des institutions européennes qui m’étaient complètement étrangers. L’ENA, c’est aussi un tremplin indéniable car l’école permet de nouer des contacts avec des personnalités de haut niveau, que je n’aurais jamais pu connaître sans (préfets, ambassadeurs, chefs d’entreprises, ministres, etc.). C’est une opportunité formidable de s’adresser directement à ceux qui font des choix déterminants et de leur faire part de notre point de vue. L’ENA m’a quelque part réconcilié avec le fait démocratique : en quelque sorte, il est possible d’être force de proposition vis à vis de nos autorités politiques, il est possible d’exprimer son avis. Ce n’est pas certain qu’il sera suivi, c’est un autre sujet, mais au moins c’est possible. A chacun d’user de cette faculté.

  • En quoi le fait d’être devenu haut fonctionnaire après une première vie professionnelle, a-t-il constitué un atout dans votre contribution à la mise en œuvre d’une politique publique ? de réformes ? N’hésitez pas à donner un exemple. 

Je pense que mes antécédents dans la vie productive et industrielle m’ont foncièrement aidé lors de mon activité de haut fonctionnaire, chargé de définir et de concevoir la réglementation. En effet, j’essaie d’avoir constamment à l’esprit comment j’aurais réagi en tant que dirigeant d’une unité opérationnelle si j’avais eu à appliquer telle ou telle norme. L’aurais-je comprise ? Mes agents auraient-ils été mieux protégés ? Le projet de l’entreprise en aurait-il été affecté ? Les objectifs d’intérêt général sont-ils parfaitement intelligibles ? C’est sur la base de cette démarche que j’ai participé, en tant que co-rapporteur, avec un camarade du conseil d’État, à un rapport confié au préfet de région honoraire Jean-Pierre Duport, sur l’accélération des projets de construction. Je crois que notre vision, ancrée dans le réel, aura permis d’aborder ces sujets de complexité réglementaire, de mille-feuille administratif, d’incohérences entre le droit et l’activité économique, avec davantage de pertinence et d’efficacité. Je ressens la même chose lorsque je rencontre un entreprise qui veut porter un projet. C’est parfois difficile de comprendre les enjeux d’un acteur privé lorsque l’on représente l’intérêt général. Avoir été de l’autre côté de la barrière aide forcément à décrypter.

  • Pourriez-vous partager une anecdote qui est particulièrement mémorable d’une situation professionnelle au cours de votre carrière ?

Je me suis retrouvé à assister à une commission d’examen d’un projet de loi à l’Assemblée nationale. Le ministre représentant le gouvernement est arrivé et il s’agissait... d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie. Le brillant ministre a âprement défendu son texte devant les députés, un public vigilant à ce que les droits des citoyens, en termes de protection de l’environnement notamment, soient préservés.

Des compromis ont été obtenus grâce à l’intelligence collective et après les débats, le ministre s’est tourné vers moi, m’a remercié et m’a exprimé sa disponibilité à étudier les propositions que nous pourrions lui faire. Quelle que soit la personnalité du dirigeant politique et son bord politique, c’est vraiment enthousiasmant de sentir que l’on joue pleinement un rôle, parmi d’autres, dans ce qui définit le cadre de vie des français.  

  • Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui, après une première expérience dans le privé, souhaite s’engager au service de la puissance publique ?

Bien réfléchir à son projet (qu’est ce qui nous anime, quels sont ses ressorts de motivation dans la vie professionnelle) y compris en termes de rémunération. Bien réfléchir à deux quand c’est le cas. Choisir cette carrière, c’est peut-être perdre du salaire au début, passer moins de temps avec ses proches, être moins présent pour ses enfants, donc il faut que son conjoint soit pleinement embarqué. Mais cela vaut le coup !

  • Enfin, en quelques mots...
  • Les causes qui vous tiennent à cœur : l’ascenseur social, l’identité et l’altérité, la liberté de choisir et d’agir selon ses talents.
  • Une lecture inspirante : ”Ma part de Gaulois” (Magyd Cherfi)
  • Une citation qui vous inspire : ”je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme” (Aimé Césaire), et aussi ”entre possible et impossible, deux lettres et un état d’esprit” (Charles de Gaulle)
  • Le meilleur conseil qu’on vous ait donné : ”on ne peut pas plaire à tout le monde”